GINA

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Drame social

1975. Réalisation: Denys Arcand. Avec: Céline Lomez, Serge Thériault, Gabriel Arcand et Claude Blanchard. Scénario: Alain Dostie, Jacques Benoit et Jacques Poulin. Couleur/1h35.

        Ce film de Denys Arcand (Le Déclin de l'empire américain, Jésus de Montréal, Les Invasions barbares) contient beaucoup d'atmosphère et d'émotions; nous ressentons souvent l'angoisse, la confusion et la colère. Gina commence avec un style agréablement réaliste, mais se termine comme un film de série Z. C'est comme si Denys Arcand avait permis au réalisateur de The Exterminator de tourner la fin de son film.

        L'histoire se situe au Québec en hiver. Une jolie danseuse (Céline Lomez) doit danser dans un motel éloigné. Elle rencontre une équipe de cinéastes qui tourne un documentaire sur l'industrie du textile (cette industrie est le thème principal du film de Denys Arcand On est au coton). Les cinéastes tentent de dénoncer l'exploitation des travailleurs à faible revenu. En même temps, une bande de loubards commet un crime qui déclenchera une confrontation violente avec les gangsters du coin.

        Denys Arcand utilise un style documentaire et ultra réaliste pendant une bonne partie de son film. Ce style réaliste n'est pas le problème, ce que je n'apprécie pas est le ton complètement différent vers la fin du film. Gina devient soudainement explicite, imposant, agressant, dans le même style que Death Wish, et on se demande si on regarde bien le même long-métrage. Le style réaliste nous présente les personnages de façon naturelle, on ne regarde pas de grandes vedettes, on assiste à la vraie vie. Les personnages sont blasés, parlent très peu pendant certaines scènes, nous avons l'impression de regarder la réalité en direct. Les clients du bar boivent leur bière, ils fument, ils jouent au billard, on attend le spectacle de Gina qui semble être l'élément déclencheur de tout le film. Lorsque Gina danse et s'expose complètement, les instincts sexuels de tous les hommes sont éveillés. Gina semble perdre toute son humanité sur scène, on perçoit la réaction de ces loubards: ils voient la danseuse comme un objet, une proie. (Ne lisez plus si vous ne voulez pas vous faire dévoiler des éléments essentiels du film).

        Le style documentaire et réaliste de Denys Arcand prend un tournant différent après la scène de viol. Tout à coup, le film devient explicite, agressant et manipule nos instincts et nos émotions. La scène de viol n'est pas aussi horrible que ça, les coupures et les prises de vue permettent à cet épisode de demeurer à la fois réaliste et tolérable. Mais la caméra reste plantée en plein milieu de l'action, Arcand utilise cette scène de viol afin de faire ressortir la rage en nous. À partir de ce moment, on souhaite voir la vengeance à tout prix et Arcand nous livre exactement ce que nous voulons voir: le sang, la vengeance et le règlement de compte. Le reste du film sombre dans l'exploitation et le divertissement trash, le résultat est très décevant. La violence poussée qui conclut le film, ainsi que la poursuite mouvementée, ruinent le style initialement réaliste et contrôlé de ce drame.

        Vers le début du film, Arcand nous promet un long-métrage profond et rempli d'observations sociales. Le thème principal est l'exploitation sous toutes ses formes. Les travailleurs dans l'usine sont exploités, Gina est exploitée aussi. Arcand utilise un contraste fort intéressant vers le milieu du film lorsque nous voyons Gina parler avec une employée de cette usine. Nous voyons deux femmes exploitées mais de manière différente: Gina fait plus d'argent, mais elle est exploitée au dépens de sa dignité. L'employée de l'usine est exploitée et elle fait moins d'argent, mais son entourage est beaucoup plus sain et elle garde au moins sa dignité.

        J'ai aimé également la tension qu'on ressent avant le viol de Gina. On entend les motoneiges s'approcher, Arcand utilise aucune musique pour nous manipuler et il contrôle bien son film. Même cette partie de billard, qui dure assez longtemps, a un certain charme. Comme dans la vraie vie, on ne sait pas ce que nous réserve l'avenir et pendant cette partie de billard on ne sait pas vers où le scénario se dirige. La distribution est également intéressante, puisque nous reconnaissons des visages qui sont devenus célèbres avec les années (Gabriel Arcand, le frère du réalisateur, est Ovide dans Les Plouffe. Serge Thériault a connu un succès avec Ding et Dong).

        Gina a ses qualités, c'est pour cette raison que la fin est tellement déplacée et dénuée d'originalité. N'importe quel réalisateur peut nous choquer avec la violence, même un réalisateur qui n'est pas talentueux. Denys Arcand est pourtant un réalisateur talentueux et intelligent, je ne m'attendais pas que son film s'écroule de façon aussi ingrate.   

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