JÉSUS DE MONTRÉAL

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Drame

1989. Réalisation: Denys Arcand. Avec: Lothaire Bluteau, Catherine Wilkening, Johanne-Marie Tremblay et Rémy Girard. Scénario: Denys Arcand. Couleur/2hres.


"All the world's a stage,

And all the men and women merely players

They have their exits and their entrances

And one man in his time plays many parts ..."

                William Shakespeare, "As You Like It", acte II scène VII

 

        La métaphore de Shakespeare nous suggère que la vie est comme une pièce de théâtre, et nous sommes tous les acteurs et actrices. Jésus de Montréal représente un peu la même métaphore. Daniel (Bluteau) réussit à prendre ce qui est théâtral et l'implanter dans la société actuelle. Il ne réussit pas à marcher sur l'eau, mais son rôle de Jésus Christ prend des proportions tout à fait surprenantes.

        Dans ce film brillamment réalisé par Denys Arcand (Le Déclin de l'empire américain), quelques acteurs et actrices se réunissent afin de monter une pièce de théâtre sur la vie de Jésus. Lorsque ces artistes font quelques changements sur ce qui est écrit dans la Bible, l'Église décide de mettre fin à leurs activités.

        Le film est interprété de façon extraordinaire. Le dialogue est intelligent, touchant, profond et parfois même très drôle. Ce n'est pas un film religieux lourd ou prétentieux, Jésus de Montréal est beaucoup plus riche et subtil. Arcand nous pose des questions sur la religion et nos croyances, tout en étudiant ces personnages de façon réaliste. On se demande ce qu'on sait réellement sur Jésus, et on réalise également à quel point la religion est considérée comme étant un territoire non discutable et peu flexible.

        Pour revenir sur la métaphore de pièce de théâtre, la fin de Jésus de Montréal est puissante et mémorable (arrêtez de lire si vous n'avez pas encore vu le film). Lorsque les autorités locales décident de mettre fin à cette pièce, Daniel (qui interprète Jésus) est blessé suite à un accident et on voit de plus en plus le parallèle entre l'histoire de Jésus et cet acteur dévoué. Jésus a dû survivre la tyrannie des autres, et Daniel doit subir la tyrannie de l'Église catholique qui ne veut rien savoir de cette pièce. Lorsque Daniel meurt, nous remarquons que son corps est placé en croix sur la table, exactement dans la position de Jésus lorsqu'il a été crucifié.

        C'est en ce moment que nous voyons une intéressante dualité entre la médecine moderne et la religion. Dans plusieurs cas, l'Église et la médecine s'affrontent et la décision du médecin va souvent à l'encontre de la décision des religieux. On voit cette dualité dans le film américain The Exorcist/L'Exorciste, dans lequel les démons de la religion sont remplacés par la schizophrénie et la dépression. Dans Jésus de Montréal, cette dualité est évidente lorsque les organes de Daniel sont donnés aux aveugles et aux handicapés. Daniel représente Jésus, et dans la religion Jésus est capable de guérir les malades et les aveugles. Daniel, dans la société moderne dominée par la médecine avancée, guérit artificiellement les aveugles et les handicapés. La manière est différente, mais le résultat est semblable. 

        La fin peut sembler poussée pour certains spectateurs, mais Arcand est subtil et son film ne sombre pas dans le symbolisme prévisible et artificiel. Lothaire Bluteau ne fait pas de gestes surnaturels et ne voit pas Dieu; des stupidités comme cela auraient ruiné le film. Lorsqu'on regarde Jésus de Montréal, on voit de vraies personnes dans le vrai monde. On voit les hôpitaux pleins à craquer ainsi que la réalité difficile des acteurs et des artistes. On regarde un vrai drame social d'un incroyable réalisme. Les thèmes religieux sont ingénieusement implantés dans l'histoire sans paraître faux ou irréels pour une seconde. Certains spectateurs peuvent argumenter que Daniel n'est qu'un acteur qui subit une blessure à la tête, rien de plus. Mais le symbolisme religieux est à la vue de tous, et chaque spectateur peut voir le parallèle entre Jésus et ce jeune homme sans que le film devienne ridicule ou surnaturel.

        Jésus de Montréal est définitivement un grand moment dans le cinéma canadien. Certaines scènes sont des classiques, comme celle qui se déroule dans le studio où trois personnes procurent la voix des comédiens d'un film pornographique. Cette scène est l'une des plus désopilantes que je n'ai jamais vue. De plus, le gardien dans le parc nous procure un anachronisme comique dans la pièce de Jésus, en portant son uniforme et sa lampe de poche.

        Denys Arcand réussit à faire parler ses personnages de façon réaliste et authentique, et l'animosité entre les acteurs et l'Église n'est pas exploitée de façon superficielle. Le prêtre n'est pas perçu comme étant un monstre hypocrite qui invite des réaction shots furieux des autres comédiens. Tout est contrôlé et ingénieusement structuré dans le scénario. Jésus de Montréal est un vrai classique à ne pas rater.

Affiche du film

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